L’apport d’affaires est un élément clé dans la vie professionnelle d’un avocat.

Pour développer sa carrière, sa clientèle et son chiffre d’affaires un avocat peut en effet exploiter plusieurs canaux :

  • Le canal de la « clientèle existante » en faisant en sorte que ses clients lui apportent de nouveaux dossiers, de façon régulière grâce à une stratégie de fidélisation efficace.

  • Le canal de la « nouvelle clientèle » en misant sur son avantage concurrentiel et sur les recommandations de ses clients existants pour convaincre de nouveaux clients de changer de conseil.

  • Le canal des « confrères » en s’associant à eux sur certains dossiers (co-traitance), en traitant pour eux une partie de leurs dossiers (sous-traitance) voire même en sollicitant leurs recommandations s’agissant d’une expertise spécifique dont l’avocat dispose.

  • Le canal des « activités diverses » (telles que les formations ou les activités commerciales accessoires) qui permettent de travailler sa visibilité auprès d’une population cible et de rencontrer éventuellement de nouveaux clients ou de nouveaux prescripteurs.

A chaque fois qu’il y a recommandation par un avocat ou au profit d’un avocat, il y a lieu de s’interroger sur les règles applicables et les conséquences de cette recommandation.

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L’apport d’affaires se définit comme « l’opération par laquelle un intermédiaire met en relation deux personnes en vue de la conclusion d’un contrat” (CORNU (G.), Vocabulaire juridique). Il ne s’agit donc pas d’un mandataire agissant au nom et pour le compte d’une partie mais bien d’un « entremetteur ».

La question épineuse de l’apport d’affaires au sein de la profession d’avocat ne concerne pas son existence et son utilité mais ses modalités d’exercice.

En effet, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une pratique largement répandue et utile à la profession :

  • tous les avocats ne sont pas dotés des mêmes appétences pour le développement de clientèle ni de la même vision du métier, ni ne nourrissent les mêmes objectifs professionnels ;
  • certains avocats souhaitent avoir un portefeuille clients composé d’une clientèle diversifiée quand d’autres privilégient une clientèle très ciblée et fidèle ;
  • certains ont pour objectif de réussir à vivre de leur métier (peu importe la clientèle), d’autres d’être le/la plus reconnu(e) dans son domaine d’expertise.

Concernant les modalités d’exercice de l’apport d’affaires, nous pouvons résumer les choses en disant que l’avocat peut pratiquer l’apport d’affaires sous certaines conditions :

  • SI cette activité demeure accessoire à son activité professionnelle (l’apport d’affaires étant une activité commerciale), et
  • SI cette activité est non rémunérée.

Les critères étant cumulatifs, on peut dire que  le deuxième limite fortement l’usage/l’intérêt de l’apport d’affaires.

Il est par conséquent à l’origine de nombreuses discussions au sein des instances ordinales.

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Lorsque celles-ci débattent de la levée éventuelle de l’interdiction de la rémunération de l’apport d’affaires (soit à chaque élection ordinales !), plusieurs problématiques surgissent, dont notamment :

  • la rémunération du collaborateur libéral qui apporte des dossiers à son propre cabinet,

  • la rémunération d’un tiers qui apporte de façon habituelle des dossiers à un avocat,

  • le cas spécifique des plateformes juridiques dont le cœur de mission est justement de mettre en relation des clients avec des avocats.

1. Que disent les règles applicables à la profession d’avocat ?

Les textes applicables à la profession d’avocat prévoient une interdiction de principe quant à la rémunération de l’apport d’affaires.

Voici les différents textes concernés :

  • « La rémunération de l’apport d’affaires est interdite » (article 10 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles déontologie de la profession d’avocat)
  • « L’avocat ne peut recevoir d’honoraires que de son client ou d’un mandataire de celui-ci. La rémunération de l’apport d’affaires est interdite » (3ème et 4ème alinéa de l’article 11.3 du RIN – Règlement Intérieur National de la Profession d’Avocat)
  • « L’avocat ne peut ni demander, ni accepter d’un autre avocat ou d’un tiers un honoraire, une commission ou quelque autre compensation pour l’avoir recommandé à un client ou lui avoir envoyé un client« . (article 5.4.1 du CCBE – Code de déontologie du Conseil des Barreaux européens)
  • « L’avocat ne peut verser à personne un honoraire, une commission ou quelque autre compensation en contrepartie de la présentation d’un client. » (article 5.4.2 du CCBE – Code de déontologie du Conseil des Barreaux européens)

En revanche, le « partage d’honoraires » entre avocats est autorisé, et ce, pour permettre le traitement, par plusieurs avocats différents, des dossiers nécessitant plusieurs spécialités.

(dernier alinéa de l’article 11.4 du RIN : « Il est interdit à l’avocat de partager un honoraire quelle qu’en soit la forme avec des personnes physiques ou morales qui ne sont pas avocats« ).

Ainsi, un avocat peut valablement être rémunéré au titre d’un dossier « apporté » à un autre avocat, si et seulement si il a également « travaillé » (au sens large du terme) sur le dossier qu’il a apporté. Ce faisant, ce sont les règles du partage d’honoraires qui s’appliquent.

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Quelques exemples 

Un avocat A peut être rémunéré :

  • par un avocat B en contrepartie d’une prestation que ledit avocat B lui a sous-traité (sous-traitance donnant lieu à rétrocession d’honoraires au profit de l’avocat A),

  • par un avocat B pour un dossier sur lequel l’avocat A a travaillé avec l’avocat B (co-traitance donnant lieu à partage d’honoraires).

Un avocat A ne peut pas être rémunéré :

  • par un avocat B pour un dossier que l’avocat A a simplement apporté à l’avocat B.

  • par un tiers (autre qu’un avocat) pour une affaire que l’avocat A a apportée à ce tiers.

Un avocat A ne peut pas non plus rémunérer :

  • l’avocat B pour un dossier que l’avocat B a simplement apporté à l’avocat A.

  • un tiers (autre qu’un avocat) pour un dossier que ce tiers a apporté à l’avocat A (même si ce tiers a travaillé sur le dossier !).

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En pratique, comment l’avocat peut-il « récompenser » les recommandations faites à son profit ? 

  • pour « récompenser » un client dit « ambassadeur » (c’est à dire qui confie régulièrement des dossiers à son avocat et qui le recommande également auprès d’autres clients), un avocat pourra accepter de réduire ponctuellement ses honoraires sur un dossier donné ou appliquer un taux de base “préférentiel” sur l’année, et ce, sur le fondement du principe de la libre fixation de ses honoraires.
  • pour « récompenser » un confrère suite à un apport de dossier, un avocat procèdera la plupart du temps par voie de « retour d’ascenseur ».

2. Qu’en pensent les avocats et les institutions ?

A l’occasion des EGAPA (États Généraux sur l’Avenir de la Profession d’Avocat) organisés par le CNB (Conseil National des Barreaux) en juin 2019, trois propositions soumises au vote concernaient l’apport d’affaires :

N° 25 a) : « Autoriser la rémunération de l’apport d’affaires entre avocats. ». Cette proposition a recueilli 51 % de voix favorables et 34 % de voix défavorables.
N° 25 b) : « Autoriser la rémunération de l’apport d’affaires de l’avocat envers les tiers sous réserve que la commission perçue soit la rémunération d’une mission connexe et accessoire à l’activité d’avocat ». Cette proposition a recueilli 41 % de voix favorables et 41 % de voix défavorables.
N° 25 c) : « Autoriser la rémunération de l’apport d’affaires des tiers envers l’avocat, dans le cadre de leur propre activité accessoire ». Cette proposition a recueilli 38 % de voix favorables et 43 % de voix défavorables.

Les travaux de réflexion qui ont ensuite été menés par la Commission Exercice du droit et Gouvernance de l’ UJA de Paris (Union des jeunes avocats de Paris) sur le sujet de la rémunération de l’apport d’affaires ont donné lieu à un rapport rendu public (Rapport de l’UJA du 17 juin 2020 – consultable intégralement ici).

A titre de conclusion de son rapport, la commission indique être en faveur :

« (…) de la possibilité de rémunérer l’apport d’affaires entre avocats et entre les avocats et les professionnels du chiffre et du droit avec lesquels il est possible de constituer une SPE, visés à l’article 31-3 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990. A cette fin, elle appelle de ses vœux la modification :

*du dernier alinéa de l’article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ; [« La rémunération de l’apport d’affaires est interdite« ]

*des troisième et quatrième alinéas de l’article 11.3. du RIN ; [« L’avocat ne peut recevoir d’honoraires que de son client ou d’un mandataire de celui-ci. La rémunération de l’apport d’affaires est interdite« ]

*du dernier alinéa de l’article 11.4. du RIN. [« Il est interdit à l’avocat de partager un honoraire quelle qu’en soit la forme avec des personnes physiques ou morales qui ne sont pas avocats« ]

La rémunération des apports d’affaires devra s’effectuer dans le respect des principes déontologiques de la profession et sur la base d’un accord écrit préalable en ce sens entre l’apporteur et le bénéficiaire. »

Le rapport d’information présenté à l’Assemblée Générale du CNB le 3 juillet 2020 est venu présenter l’état des réflexions des différentes commissions saisies sur le sujet (dont la Commission Exercice du droit et Gouvernance de l’ UJA de Paris) afin de permettre aux membres de se positionner sur les propositions soumises au vote lors des EGAPA (Rapport du CNB – consultable ici)

A la suite de la dernière consultation des barreaux, des syndicats et des organismes techniques qui a pris fin le 27 novembre 2020 et qui aurait dénoncé « une définition insuffisante des modalités qui accompagneraient la levée de l’interdiction de la rémunération de l’apport d’affaires« , l’assemblée générale du CNB du 18 décembre 2020 a indiqué que « la question de la levée ou du maintien de l’interdiction de la rémunération de l’apport d’affaires ne pourra être décidée sans une définition préalable et complète du régime juridique envisagé. À cette fin les élus du CNB réunis en Assemblée générale invitent la prochaine mandature à poursuivre les travaux sur cette question. »

3. Quels risques et quelles opportunités en cas de levée de l’interdiction dans les rapports entre avocats ?

Les risques :

Si le risque de dépendance d’un avocat vis-à vis d’un autre avocat « apporteur d’affaires » existe bien, il n’est pas différent de celui qui existe entre un avocat et son client, lorsque celui-ci génère à lui seul 80% de son chiffre d’affaires. En effet, si le client décide de changer de conseil, la situation peut s’avérer critique. C’est la raison pour laquelle la diversification du portefeuille sera toujours recommandée dans une telle situation.

En tout état de cause, le risque de dépendance entre avocats se trouve limité par la nature commerciale de l’activité d’apport d’affaires et l’obligation faite à l’avocat « apporteur d’affaires » de ne l’exercer qu’à titre accessoire (article 6.2 du RIN).

Les opportunités :

1) Il existe autant de pratiques que d’avocats

Tous les avocats n’ont pas les mêmes moyens financiers pour développer leur activité, ni les mêmes appétences pour le développement de clientèle ou pour la  communication sur les réseaux sociaux.

Certains disposent d’un site web doté d’un référencement SEO structuré et efficace doublé d’une stratégie de communication digitale générant chaque semaine de nouveaux « clients potentiels ». D’autres préfèrent privilégier les rencontres physiques et les évènements en présentiel.

Dans tous les cas de figure, la recommandation reste très utile pour faire face à la concurrence et se démarquer d’autres professionnels ayant des expertises similaires et les mêmes techniques de développement commercial.

2) Le service rendu

Au centre même du concept de recommandation figure la notion de « service rendu ».

Permettre aux avocats d’être rémunérés pour avoir recommandé un confrère à un client, constitue en effet :

  • un service rendu à l’avocat qui bénéficie de la recommandation (amélioration de son chiffre d’affaires, de sa visibilité et de sa réputation),
  • un service rendu à l’avocat « apporteur » qui répond au besoin d’un client par cette simple recommandation (amélioration de sa visibilité et de sa réputation),
  • un service rendu au client qui cherche un avocat compétent et de confiance.

3) Gestion de la trésorerie et du temps

La gestion de la trésorerie et la gestion du temps de travail sont des éléments clés dans la vie d’un avocat.

La rémunération de l’apport d’affaires entre avocats pourrait permettre :

  • à l’avocat « apporteur » d’avoir un fond de roulement régulier, et ce, sans y allouer un temps de production (dès lors qu’aucune prestation juridique n’est à réaliser),
  • à l’avocat « bénéficiant de l’apport d’affaires » d’avoir un fond de roulement régulier moyennant certes un temps de production mais sans temps de prospection (en raison de la recommandation).

4) Le développement de carrière des collaborateurs libéraux

La rémunération de l’apport d’affaires entre avocats permettrait aux avocats collaborateurs libéraux de participer pleinement au développement de leur cabinet en apportant de nouveaux clients issus de leur propre réseau, tout en se constituant une source de revenus complémentaires. Cette possibilité serait en outre moteur dans l’évolution de leur carrière et leur permettrait d’appuyer leur candidature à l’association.

So ?

Le cadre de la rémunération de l’apport d’affaires va évoluer. Les avocats ont la possibilité d’imaginer dès à présent de nouvelles options pour se développer et structurer leur chiffre d’affaires. Discutez-en avec WHITE PEACOCK.